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Temps d’attente pour une chirurgie au Canada — Dr Étienne Belzile

28 min | Publié 

Déjà avant l’éclosion de la pandémie, les systèmes de santé du Canada faisaient face à de nombreux défis quant aux temps d’attente pour une chirurgie. La situation est maintenant bien pire. Dans cet épisode du BISC, l’animatrice Alya Niang échange avec le Dr Étienne Belzile, chef de service de chirurgie orthopédique pour le centre de traumatologie de niveau 1 à Québec, à propos des solutions que tentent de trouver les hôpitaux et les systèmes de santé au Canada pour rattraper les énormes retards en chirurgie et régler le problème à long terme.

Cet épisode est disponible en français seulement.

Transcription

Alya Niang

L’accès à la chirurgie non urgente a été décimé par la pandémie de COVID-19.

Une nouvelle analyse que vient de publier l’Institut canadien d’information sur la santé révèle que 930 000 chirurgies de moins que prévu ont été effectuées dans tout le pays au cours des 31 premiers mois de la pandémie.

C’est près d’un million de Canadiens qui n’ont pas subi d’interventions chirurgicales qui étaient recommandées.

Beaucoup attendent, et cela inquiète des chirurgiens comme le docteur Étienne Belzile.

Dr Belzile

C’est énorme en fait, c’est pratiquement une version catastrophique du système de santé.

La mise aux arrêtes de ces procédures-là va avoir un effet pendant les prochaines années et puis on n’a pas fini de voir ces effets-là sur nos patients.

Alya Niang

Docteur Belzile est chef de service de chirurgie orthopédique pour le Centre de traumatologie de niveau 1 à Québec et professeur agrégé à l’Université Laval à Québec.

Aujourd’hui, il nous parle des dernières données de l’ICIS sur les temps d’attente pour les opérations chirurgicales telles que les remplacements de la hanche et du genou, les cataractes et autres interventions critiques.

En posant la question, y a-t-il un meilleur moyen de résorber les arriérés pour de bon?

Dr Belzile

Je crois qu’il y a quand même un certain côté positif de réaliser que notre capacité à traiter tout au public de façon comme on l’a fait aujourd’hui à des limites et puis qu’il faut maintenant trouver de nouvelles solutions.

Alya Niang

Bonjour et bienvenue au Balado d’information sur la santé au Canada.

Ici Alya Niang, l’animatrice de cette conversation.

Rappelez-vous que les opinions et les commentaires de nos invités ne reflètent pas nécessairement ceux de l’ICIS. Cependant, il s’agit d’une discussion libre et ouverte et l’émission d’aujourd’hui porte sur la façon d’aider les milliers de Canadiens dont la chirurgie a été reportée et qui sont là à attendre plus longtemps qu’ils ne le devraient. Peut-être plus longtemps que ce qui est sûr et sain.

Alors bonjour, docteur Belzile, bienvenue au Balado.

Dr Belzile

Bonjour.

Alya Niang

Alors docteur Belzile, j’aimerais savoir, pour la première fois dans l’histoire, corrigez-moi si je me trompe, mais les systèmes de santé du monde entier ont cessé de pratiquer la plupart des opérations chirurgicales à cause de la pandémie.

Pourquoi exactement cela s’est-il produit?

Dr Belzile

Bien, c’est la première fois dans l’histoire qu’on a dû réaffecter nos ressources.

Alors, il s’agissait d’une crise subite qui a pris tous les systèmes en défaut et puis il a fallu allouer des ressources directement à une cause et puis, par défaut, en arrêter certaines autres fonctions d’un hôpital pour les allouer à la COVID. Alors notre expérience a été la première et puis les directions des hôpitaux ont décidé de vraiment fermer les blocs opératoires pour deux raisons.

La première était utilisée le personnel à des fins de traitement de soins aigus aux patients du COVID. Et puis, aussi un peu, par protection des ressources, dès le début de la crise en 2020, on se rappelle, en mars, il y avait eu question de protéger nos stocks de médication qui servaient à l’anesthésie générale, qui était possiblement utilisable aux soins intensifs, qui servaient à ce moment-là à supporter les patients très, très malades de la première vague.

Alya Niang

Les dernières données de l’ICIS montrent que 930 000 chirurgies de moins ont été effectuées au Canada, sans compter le Québec, entre mars 2020 et septembre 2022. Presque un million d’opérations en moins, c’est impressionnant.

Je vais juste donner quelques chiffres, 6 % de chirurgies du cancer en moins que d’habitude, 8 % de chirurgies cardiaques en moins, près de 36 000 interventions sur le genou en moins, 11 000 remplacements de la hanche en moins et bien plus encore. Il y a beaucoup plus de détails et quelques différences entre les provinces et vous pouvez voir tout cela sur ICIS.ca.

J’aimerais savoir comment vous sentez-vous quand vous voyez ces données?

Dr Belzile

C’est énorme en fait, c’est pratiquement une version catastrophique du système de santé.

La mise aux arrêts de ces procédures-là va avoir un effet pendant les prochaines années et puis on n’a pas fini de voir ces effets-là sur nos patients.

Et puis ça, c’est juste la pointe de l’iceberg, dans le fond, c’est l’activité chirurgicale. On ne parle pas de toute l’activité diagnostique qui est sous-jacente à tout ça, qui va avoir un effet pour les prochaines années.

Alors, c’est du jamais vu. Je ne pense pas que personne n’était capable de prédire l’impact d’un tel arrêt. Mais, c’est tel un bouchon de circulation sur l’autoroute, il s’agit que quelques véhicules arrêtent et puis on a un effet rebond pour le restant de la journée sur ce premier incident.

Malheureusement, on se rend compte que certaines chirurgies étaient très urgentes puis elles ont été quand même faites, mais de façon tardive.

Certaines autres chirurgies ont été perçues comme moins importantes pour certains patients, mais que malheureusement, elles vont prendre pratiquement un an avant d’être faites de façon ordonnée.

Alya Niang

Et est-ce que ces délais chirurgicaux entrainent des décès, docteur Belzile?

Dr Belzile

C’est très difficile de mettre un doigt sur la statistique.

Parce que si on regarde, le taux de décès n’aura pas nécessairement changé particulièrement, mais on se rend compte qu’on va maintenant opérer des patients qui étaient probablement en meilleure situation de santé au moment où ils se sont présentés, le problème de santé initiale, mais on les opère de façon tardive.

Alors notre effet sur leur santé est moins important ou se fait de façon tardive et on va donc avoir des patients avec plus de complications.

On a vu des patients se présenter avec une situation très avancée de maladie qu’on n’avait pas vue depuis très longtemps.

Alors ça ne se traduira pas nécessairement par un décès immédiat, mais si vous prenez une personne de 70 ans, vous l’arrêtez complètement pendant deux ans, ça aura un effet sur sa capacité fonctionnelle, sa capacité cardiaque, et éventuellement probablement un taux de décès plus rapide que ça aurait été si la personne avait été traitée en temps opportun.

Alya Niang

Docteur Belzile, les données montrent également que 40 à 50 % des personnes ne sont pas traitées dans le délai recommandé pour obtenir les meilleurs résultats.

J’aimerais savoir quel est le coût humain et qu’est-ce que vous avez vu?

Dr Belzile

Si je m’en tiens pratiquement… moi, je suis un orthopédiste de carrière, je peux vraiment vous répondre par rapport aux gens qui ont des problèmes musculosquelettiques.

L’impact est humain à tous les niveaux. La vie des gens est affectée au point de vue familial.

Les gens qui souffrent d’un problème pendant plus que c’est supposé vont avoir un impact sur leur qualité de vie à la maison, la capacité d’être un conjoint, conjointe, d’être un parent, la capacité de travailler, la capacité de ces personnes-là à gagner de l’argent et être capable de fournir les services et leur rôle, dans le fond, dans la société canadienne.

Alors tout ça est mis aux arrêts pendant le temps d’attente et puis bien souvent, si ce temps d’attente là est prolongé, vous dites maintenant que seulement 50 % des gens sont traités dans les temps opportuns, ça veut dire que le reste des gens sont en arrêt complet et puis ça diminue la qualité de vie globale des Canadiens, le fait d’attendre comme ça.

Alya Niang

Vous avez un peu touché à ma prochaine question.

Vous êtes un chirurgien et un chercheur de surpoids. Et donc j’imagine que cela a sûrement eu un impact sur vous, personnellement.

Comment vous l’avez vécu?

Dr Belzile

À Québec, nous avons quand même été fortement touchés dans notre service chirurgical et puis on a été aux arrêts pratiquement pendant huit mois.

Alors, on a été aux arrêts chirurgicaux et puis aux arrêts aussi à notre capacité de rencontrer de nouveaux patients.

Le fait qu’on n’a pas tout à fait fini la vague de gens qu’on était dû pour voir dans cette période de temps. On ne les a pas encore tous vus et puis on est à peine à récupérer de cette crise.

Et puis du côté de recherche, on avait plusieurs projets de recherche en roulement au centre de recherche et puis on a été obligé d’arrêter le recrutement. Dans certains cas, heureusement pas très fréquents, certains suivis de la recherche ont été suspendus pendant la crise COVID.

Alya Niang

Docteur Belzile, qu’est-il arrivé à vos listes d’attentes au début de la COVID?

Dr Belzile

On a vu une augmentation dramatique de nos listes d’attentes parce qu’avant la COVID, on était déjà un petit peu en difficulté au point de vue des délais d’attente. Et puis ça, de façon un peu chronique dans les derniers cinq ans.

Et puis, la pandémie a vraiment rendu ça beaucoup plus difficile parce qu’en étant arrêté pendant près de huit mois, on a continué d’avoir des besoins. On a quand même vu certains patients qui avaient besoin de services chirurgicaux. Et puis ça, c’est souvent de plus en plus aigu en plus.

Ça fait que nos listes ont une croissance effervescente. Dans certains services, on a eu 85 % d’augmentation des attentes. Dans notre service à nous, on a eu jusqu’à 60 %.

Alya Niang

La question posée dans le dernier rapport est la suivante : les hôpitaux ont-ils pu rattraper les interventions chirurgicales affectées par la COVID-19? Et la réponse semble être négative.

Et selon le rapport de l’ICIS, si le nombre mensuel d’interventions chirurgicales programmées se rapproche des niveaux prépandémiques, il est insuffisant pour résorber l’arriéré et améliorer les temps d’attente.

Docteur Belzile, s’agit-il d’un arriéré contenu ou d’un arriéré qui s’aggrave?

Dr Belzile

Il y a un petit peu des deux.

Dans le fond, 2021, on a vu l’arrivée de stratégie par plusieurs hôpitaux ou services de santé, dans le fond, pour compenser l’arriéré et puis augmenter la production chirurgicale.

Alors, il y a eu une réallocation de certaines ressources pour favoriser les gens qui étaient en long délai d’attente, qui a été relativement efficace. Donc, on a pu se rattraper des volumes qu’on faisait prépandémie.

Par contre, il y a eu un effet rebond, c’est-à-dire il y a eu une perte des effectifs médicaux. Les ressources humaines ont eu beaucoup de difficultés à maintenir le support de la part des infirmières dans tous les hôpitaux du Canada. Ce qui a fait que par la suite, il y a eu un effet rebond et un ralentissement chirurgical.

Alors là, cette liste d’attente continue donc d’augmenter parce que notre capacité à faire du volume a rediminué en 2022-2023.

Et puis, malheureusement, dans les planifications qu’on regarde pour 2023-2024, on a cette même pénurie de personnel ce qui fait que malgré toutes nos tentatives d’être plus efficaces ou d’allouer plus de ressources spécifiquement au secteur chirurgical qui ont de longues attentes, on n’arrivera pas à récupérer cette liste d’attente là.

Alya Niang

Donc, on pourrait dire qu’il va falloir faire beaucoup de temps supplémentaire pour résorber ces arriérés et également éviter d’en créer davantage?

Dr Belzile

En effet, je pense que chaque hôpital a sa façon de travailler, mais en gros, on a beaucoup travaillé sur une meilleure classification des délais pour avoir opéré les gens qui sont en pire situation dans les bons temps. Donc, classer les patients de façon plus intelligente et plus stratégique.

Il y a aussi un travail au niveau de l’hôpital pour être capable de donner accès aux services qui en ont besoin le plus par rapport à la demande.

Ce qui n’était pas nécessairement quelque chose de très compris avant la pandémie, ça. Il n’y avait pas une allocation nécessairement directe par rapport à la demande d’un secteur donné.

Ça a été vraiment mieux compris pendant la pandémie qu’il y avait un besoin de notre société de redonner aux secteurs les plus en demande pour arriver à donner une relocation des ressources qui est juste pour chaque pathologie que la population va subir ou présenté.

Alya Niang

Et toujours dans les données, avant la pandémie, 70 à 75 % des patients devant subir une opération du genou ou de la hanche étaient opérés dans le délai recommandé. Et aujourd’hui, ce pourcentage est de 50 à 55 %.

Dans quelle mesure la pandémie est-elle responsable de cette situation?

Dr Belzile

Elle a très certainement eu un impact. C’est-à-dire la pandémie a servi d’un électrochoc immense au système de santé.

Et puis, l’effet rebond à ça a été que plusieurs gens dans les ressources humaines, le personnel de l’hôpital a changé de carrière ou changé de site de travail. Ce qui fait que maintenant, notre capacité ou la capacité de produire un certain volume dans un hôpital est affectée par ça, un manque de salle d’opération parce qu’il y a un manque de personnel et puis un manque d’accès aux lits. Les lits sont physiquement accessibles, ils sont dans l’hôpital, mais il n’y a pas d’infirmières capables de donner le service comme avant.

Alors, c’est tout un re-questionnement des horaires de travail, des façons de travailler en équipe qui est en compte ici. Et puis, veut/veut pas, la pandémie est une cause directe de ça. Maintenant, les réponses ne viendront pas toutes du fait que la COVID va s’améliorer. Il faut recontester notre façon de travailler.

Alya Niang

Alors, on pourrait dire que la pandémie n’est pas entièrement responsable, mais a plutôt envenimé le système.

Dr Belzile

Exactement.

Il y avait des facteurs de risque déjà en place dans notre système qui étaient peut-être un peu moins compris. La pandémie a vraiment été le stresseur principal à faire débouler un paquet de conséquences par la suite.

Alya Niang

Docteur Belzile, parlons un peu des soins en équipe.

Si les études montrent qu’ils fonctionnent, qu’ils accélèrent les soins pour les patients et améliorent le délai d’intervention chirurgicale pour ceux qui en ont besoin, pourquoi ne le faisons-nous pas?

Dr Belzile

Je crois que ce n’est pas tout à fait exact. On le fait, mais pas à même intensité partout dans le système.

Alors, il y a des équipes qui sont championnes à être capables de s’adapter et puis d’avoir été capables d’augmenter leur volume. Ça prend plusieurs conditions, la volonté politique en est une, le bon financement en est un autre. Et puis après ça, il y a aussi les bonnes intentions de la part de chacune des équipes syndicales à aller changer le modèle de travail et puis être capables de l’optimiser.

Alors, il existe des équipes dans le monde qui sont capables de faire deux fois le travail qu’on est capable au Canada avec deux fois moins de ressources, mais ça prend une motivation qui est particulière, puis il y a un système déjà préparé pour ça.

Puis, je pense que beaucoup des gros centres, des gros centres universitaires, par exemple, ou des gros hôpitaux n’arrivent pas à guider leurs équipes puis à développer des équipes efficaces pour augmenter le volume.

En aucun cas, dans un système de santé, on parle d’efficacité et puis de volume de travail. Ce qui est le cas dans toutes les autres sortes d’industries qui existent. Donc, je pense, c’est vraiment un changement de mentalité qui va faire opérer et puis toujours garder le facteur humain et le service aux patients comme étant le critère numéro un.

Malheureusement, avec les années, il y a peut-être un peu eu de déviation de ce but ultime, le service aux patients.

Alya Niang

Et que pensez-vous des quatre provinces qui ont décidé d’ouvrir des cliniques privées pour traiter les cas qui font partie des arriérés et qui sont couverts par les régimes provinciaux de santé?

Quels sont les risques selon vous?

Dr Belzile

Chose est sûre, il y a des valeurs qui sont immuables, c’est-à-dire le nombre de patients va rester le même et ne changera pas. Le nombre de chirurgiens capables de faire les opérations ne changera pas non plus. Je ne m’attends pas à une migration de chirurgiens venant d’autres provinces ou d’autres pays.

Alors, on se limite alors aux sites chirurgicaux. Combien d’établissements au Canada sont capables de faire les opérations?

Alors, il y a eu quelques cliniques qui se sont construites à travers le Canada, ça, c’est sûr. Maintenant, la ressource la plus limitante, c’est l’effet de vol qui pourra arriver par rapport aux infirmières.

Alors, je pense qu’il est normal pour les politiciens de s’inquiéter que si une infirmière travaille dans un réseau public et se fait attirer au privé, elle aurait peut-être une certaine tendance à accepter, on pourrait la perdre.

Mais il ne faut pas oublier que dans les temps de disponibilité des individus présentement, il y a des gens qui ont du temps et puis de le donner dans d’autres secteurs de la journée, par exemple le soir, les fins de semaine, qui seraient capables d’aller au privé.

Puis c’est justement ça, je pense, que certaines provinces ont été capables d’exploiter mieux que d’autres. Par exemple en Ontario, le service se fait souvent dans des périodes qui ne sont pas du 8 à 4 traditionnels ou de la semaine. Ça permet d’utiliser la même force de travail pour faire le service privé.

Tandis qu’au Québec, le choix a été fait de plus aller vers les cliniques privées vraiment à part de l’hôpital. Et puis là, il y a peut-être un plus gros effet de transfert de la force de travail vers le privé.

Alors tout est dans la réglementation, à mon avis, à ce que plus on permet de fluidité d’un vase à l’autre, c’est-à-dire du privé vers le public, plus on va arriver à faire ce volume-là puis à aller donner notre service à la population.

Si on regarde la France, si on regarde la Suisse, ils ont des systèmes privés en parallèle qui n’affectent aucunement leur volume de travail public parce que ce sont des vases communicants puis il y a une facilité pour les professionnels de changer d’un service à l’autre.

Alya Niang

Et s’agit-il d’une solution juste et équitable au temps d’attente en chirurgie?

Dr Belzile

Je pense que la principale injustice va arriver au niveau de quelle population va être capable d’utiliser l’accès privé versus une autre.

Alors, il y a certaines pathologies qui, malheureusement, arrivent chez les gens plus malades et puis qui s’adonnent moins au service privé.

Par contre, l’hôpital, si elle est libérée parce qu’il y a des patients qui vont au privé, ça va donner plus de place à ces pathologies-là.

Alors, quand je dis pathologie, c’est que si on fait une chirurgie viscérale, il y a plus de chances d’avoir besoin d’un lit d’hôpital que si on fait une chirurgie sur les membres périphériques, par exemple en orthopédie. Alors c’est sûr qu’il y a ce côté-là de la médecine qu’il faut faire attention.

Par contre, si on focus principalement sur l’orthopédie, il y a un grand volume de patients qu’on peut faire en externe de l’hôpital et puis qui peuvent être transférés au privé.

Alors, c’est vraiment juste un choix qui va être politique à ce moment-là, de faire ce choix-là, de transférer la population.

Alya Niang

Et est-ce que vous diriez que tout ceci nécessite beaucoup de temps supplémentaire?

Dr Belzile

Si on regarde les chiffres, on n’a pas parlé vraiment de volume ici. On parle que 50 % seulement des gens ont un service dans les délais prévus ou espérés du moins. Probablement qu’on aurait besoin de 30 à 40 % plus d’accès à la salle d’opération pour être capable de ramener ces délais-là à 100 % de la population dans les délais requis.

Alors, je ne pense pas qu’il existe présentement assez d’accès en privé pour faire ce travail. Alors, ça va être vraiment un choix d’aller combiner des stratégies. On parlait juste localement dans notre hôpital, si on ajoute un cas par jour sur une journée traditionnelle où on en fait trois, c’est 25 % d’augmentation. Mais, pour gagner 25 % d’augmentation, il faut allonger notre journée. Cet allongement-là, ça peut être de deux heures peut-être dans une journée.

Alors là, c’est là qu’on va aller toucher les corps de travail. Il faut qu’on aille réaffecter le même personnel, mais juste plus longtemps ou d’une façon différente.

Par contre, si on a cinq jours ouvrables, on fait quatre cas par jour, on a donc 20 clients. Si on rajoute un samedi, on peut en faire quatre de plus. Alors, notre effet va être un peu moindre, mais on est capable d’aller en chercher plus.

Alors, ça dépend toujours de l’accès. Alors, est-ce qu’on le donne le soir? Est-ce qu’on le donne les fins de semaine?

L’Ontario a fait, dans le passé, des augmentations de volume comme ça hors des heures traditionnelles, puis ils sont arrivés à aller brûler un bon 20, 30 % de volume de plus. Mais ça vient à un coût, c’est du temps supplémentaire ou ce sont des ressources complètement différentes des budgets actuels?

Alya Niang

Docteur Belzile, ces derniers mois, on a beaucoup parlé des soins de santé et des listes d’attentes et de l’argent qui est maintenant versé aux provinces pour les aider à gérer ces listes d’attentes.

L’Ontario et l’Alberta ont recours à des cliniques privées pour augmenter leur capacité. Où se situe-t-on?

Dr Belzile

Ma réponse va inclure mon émotion québécoise par rapport au reste du Canada. Je crois qu’il y a quand même un certain côté positif de réaliser que notre capacité à traiter tout au public de façon comme on l’a fait aujourd’hui a des limites et puis qu’il faut maintenant trouver de nouvelles solutions. L’accès au privé, en Ontario, par exemple, peut augmenter définitivement l’accès et va permettre de diminuer les listes d’attentes. Mais mon scepticisme va être au niveau du volume.

OK, on va aller ronger un petit 10, 15 % peut-être et c’est excellent, mais on reste quand même un peu limité parce qu’on va aller transférer les cas les moins malades dans ces centres-là. Et puis, on va juste augmenter la complexité des cas qu’on va faire dans l’hôpital.

Alors, si je mets ma tuque québécoise, je réalise par contre qu’on a un peu plus de difficultés ici au Québec parce que dernièrement, les émissions de permis pour les centres privés ont été toutes retenues par le gouvernement.

Alors, malgré l’augmentation des ressources, je n’arrive pas à comprendre la stratégie actuelle et comment on va pouvoir augmenter notre volume, surtout en situation où déjà dans nos hôpitaux actuellement, on n’arrive pas à faire les volumes qu’on espérait faire dans la situation postpandémique.

La majeure partie des hôpitaux québécois sont obligés de fermer des salles d’opération que physiquement existent par manque de personnel.

Alors, le premier but ici, ça serait vraiment d’aller obtenir ces ressources humaines pour être capable ensuite de faire le travail adéquat.

Alya Niang

Comment pensez-vous qu’on pourrait récupérer, actuellement? Comment apporter les bons soins aux bons patients au bon moment?

Dr Belzile

Je crois que, tout d’abord, on doit oublier les acquis. Dans le passé, on a souvent guidé la production chirurgicale par rapport à ce qui avait été fait dans le passé. C’est-à-dire, l’an dernier, on avait tel volume, on va reproduire le volume puis on continue et puis on ne se pose pas de question.

Ceci a créé une inégalité d’accès entre pathologies. C’est-à-dire, le musculosquelettique avait un certain volume croissant, mais on n’a jamais répondu à la demande au Canada comme au Québec. Et puis, ça a créé une inégalité qui persistait dans le temps.

Alors, si on commence par regarder quelles sont les demandes, puis ça, ça va être au niveau régional pour chaque hôpital, qu’est-ce qu’on a besoin de faire?

Et puis, être capable de bien allouer les ressources pour répondre à ces demandes-là, ce serait déjà une excellente stratégie pour égaliser plus les listes d’attente. Et puis, il y aurait moins d’asymétrie entre spécialités. Et puis, pour le Canadien moyen, son accès serait garanti et serait mieux.

Maintenant, si on avait à décider des stratégies gouvernementales, ça, c’est toujours un peu plus compliqué parce qu’on a tendance à faire des directives émissives ministérielles pour donner des ordres à travers le système, mais souvent, les réalités ne sont pas les mêmes dans chaque région.

Et puis, beaucoup de nos fonctionnaires perdent leur temps à répondre à ces missives-là par rapport au ministère et puis n’arrivent pas à répondre aux besoins locaux.

Alors, la bonne compréhension de chaque réseau est importante. Et puis, la prescription ne sera pas la même selon un réseau ou un autre.

Dans certaines régions, l’accès est très difficile parce qu’il manque de ressources hospitalières. Ce sont des hôpitaux qu’on a besoin. Ils ont coupé des lits pendant les années 90. Là, maintenant, c’est un manque de lits qui est le problème.

Dans d’autres régions, c’est vraiment un manque de ressources qui peut être très ponctiforme. Là, c’est là qu’il faut aller recruter les personnels, les former puis donner accès.

Ça doit partir même des universités, des cégeps qui font la formation, des collèges qui font la formation de ces personnes-là pour faciliter l’accès, puis faire de la formation précise pour permettre ensuite aux hôpitaux de moins passer de temps à former ces gens-là quand ils arrivent dans le réseau.

Et puis, ça se rendrait le système plus efficace et plus facile à répondre aussi. Ça peut aller même jusqu’aux ressources médicales. Des fois, on a alloué des spécialités ou des postes de médecins dans certaines régions pour un certain volume. Et puis, après 10 ans, le volume a changé, mais on n’est pas capable de changer nos ressources.

Et puis, ça, c’est l’aspect verrouillage ou la rigidité du système qui ne permet pas de s’adapter très vite. Ça, ça date de très longtemps, mais là, on réalise maintenant que notre système a probablement le besoin d’un peu plus de flexibilité.

Alya Niang

Et si vous étiez en charge, quelle serait votre prescription?

Dr Belzile

Déjà, d’avoir un transfert de fonds adéquat entre le Canada et les provinces, c’est un début.

Je comprends que du côté fédéral, il y a toujours une hésitation à demander des comptes en retour de cet argent-là, mais le Canadien, lui, il en a besoin de comptes. C’est bien de valeur, les payeurs de taxes, ils ont besoin d’un service.

Alors, je pense que d’avoir certains barèmes à suivre dans chaque province, qu’ils soient uniformes ou non, c’est correct, mais au moins d’en avoir pour que le politicien à un moyen, soit responsable de ces barèmes-là.

Et puis, malheureusement, aujourd’hui, on en discute, mais personne n’en établit des barèmes, puis on n’a pas vraiment de variables où on se fit, comme on fait du côté scientifique ou du côté de la recherche, pour avoir des statistiques qui se tiennent, puis un service qui est adéquat pour chacun.

Alya Niang

Merci, docteur Belzile, pour le temps que vous nous avez accordé.

Ce fut un plaisir d’échanger avec vous sur un sujet aussi urgent et important.

Dr Belzile

Merci beaucoup. Passez une bonne journée.

Alya Niang

Des études montrent que lorsque les patients doivent subir une intervention chirurgicale, moins ils passent de temps à être handicapés et à souffrir, mieux ils se rétablissent et moins les soins qu’ils reçoivent coûtent aux systèmes de santé.

La réduction des temps d’attente permettra donc aux Canadiens d’être en meilleure santé et d’avoir une meilleure qualité de vie.

Merci de vous joindre à notre discussion.

Notre producteur exécutif est Jonathan Kuehlein et un grand merci à Ieashia Minott et Avis Favaro, l’animatrice du Balado de l’ICIS en anglais.

Pour en savoir plus sur l’Institut canadien d’information sur la santé, veuillez consulter le site www.icis.ca.

N’oubliez surtout pas de vous abonner au Balado d’information sur la santé et écoutez-le sur la plateforme de votre choix.

Ici Alya Niang, à la prochaine!

Comment citer ce contenu :

Institut canadien d’information sur la santé. Temps d’attente pour une chirurgie au Canada — Dr Étienne Belzile. Consulté le 22 octobre 2024.

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